“Revenir entier” : l’Odyssée personnelle de Amine Esseghir au cœur de la décennie noire

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Les livres-témoignages sur la décennie noire sont rares, pour ne pas dire inexistants, et cela ne donne que plus de valeur au livre, absolument captivant, d’Amine Esseghir, journaliste algéro-canadien. Le parcours d’un reporter devenu soldat interpelle nos mémoires, enfouies, dans cette décennie qui n’est pas “passée” dans les esprits.

En mars 1994, âgé de 27 ans et déjà journaliste de métier, Esseghir doit prendre une décision longtemps retardée : répondre à l’appel du service militaire alors que le pays est plongé dans une guerre intérieure dévastatrice.

“Revenir entier”, un appelé dans la guerre contre le terrorisme islamiste en Algérie est le récit (publié chez Harmattan en France et Apothéose au Canada) s’étale sur 207 pages et offre, à travers une galerie de portraits, un témoignage bouleversant sur cette période de l’histoire nationale que la loi sur la réconciliation nationale ne permet pas d’aborder dans toutes ses dimensions.

Amine Esseghir est un journaliste qui se retrouve non pas dans la stature du reporter qui couvre un événement mais de quelqu’un qui, en tant que soldat, fait lui-même partie de l’événement. Le journaliste-soldat découvre vite les rudes réalités du service militaire. Ce récit,  un témoignage sincère sur ses deux années passées sous les drapeaux, est animé d’une volonté de libérer sa voix et, qui sait, celle d’autres  témoins de cette époque tumultueuse qui continue à peser lourdement sur les esprits et sur le fonctionnement du système politique. 

Amine Esseghir explique dans son récit qu’il n’avait pas le sentiment d’être contraint dans son activité de soldat mais celui d’un citoyen convaincu de son devoir de protéger son pays. Rejoindre les rangs de l’armée pour effectuer son service militaire même dans un contexte aussi lourd semble plus naturel que de rester dans les brouhaha d’une salle de rédaction dans la chao généralisé de l’Algérie des années 90.

Après de nombreuses péripéties, notamment un passage par la case désertion, il est finalement affecté à un bataillon dans l’Ouest du pays, où il est confronté à la réalité crue de la guerre. Disposant d’une arme, il trouve une forme de réconfort dans sa capacité à se défendre, contrairement aux civils contraints, dans un climat d’extrême de choisir leur camp. 

Nulle place au culte du moi dans ce récit qui livre une succession de portraits croisés : officiers d’active, des appelés, des villageois, des enfants, des femmes. Tous peuplent ces pages pour rappeler que cette guerre intérieure n’épargnait personne et traversait même les familles. C’était  l’affaire de toute une société, incertaine quant à son avenir.

Amine Esseghir tente de restituer tout un éventail de personnages pris dans le tourbillon d’une histoire qui a déraillé. Il met une vie derrière les ombres d’une Algérie dont la traumatisme majeur n’a pas été verbalisé en raison d’une amnistie qui décrète que la page est tournée. Ces récits deviennent un espace pour restituer ces ombres et faire partager le poids des souffrances.  

Si “Revenir entier” est une libération pour son auteur, il est, pour le lecteur, une plongée dans les méandres d’une décennie traumatisante.  Un livre précurseur à lire absolument.


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