Le journalisme engagé existe toujours, changeant seulement de terre »natale » pour tenir aux autoritarismes qui le persécutent intra-muros. Depuis, les médias hybrides, c’est comme ça qu’on les dénomme, ont le vent en poupe, gagnant en crédibilité et tentant de fidéliser lectorat avide de scoop, plutôt de vérité. Ce sont généralement des médias dirigés par des journalistes exilés ayant la collaboration des journalistes locaux. Sharon Moshavi, la présidente de l’ICFJ ( International Center for Journalist), en parle lors d’une table ronde qu’elle a animée au Festival international du Journalisme, qui s’est tenu du 17 au 21 avril, à Pérouse, en Italie.
Insécurité, manque de financement et lectorat inaccessible
Ce sont là les trois défis du journalisme hybride. Pour en parler, Moshavi n’était pas seule, ces interlocuteurs du jour furent :
- Yavuz Baydar, responsable éditorial de Free Turkish Press, qui couvre le gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan en Turquie ;
- Sveta Dyndykina, co-fondatrice de ROMB, qui diffuse des informations indépendantes au public russe dans un contexte de forte censure et de propagande ;
- Tinshui Yeung, ancien lauréat Knight Innovation de l’ICFJ.
Ce dernier cité étudie « comment les nouvelles technologies peuvent aider les journalistes du monde entier, y compris ceux de Hong Kong, sa ville natale, à travailler dans des conditions plus sûres. »
La sécurité des journalistes indépendants : cheval de bataille
« Les médias hybrides russes s’appuient sur des journalistes indépendants qui se trouvent encore dans le pays pour couvrir les manifestations contre la guerre et d’autres événements que le gouvernement considère comme politiquement dangereux. », lance d’emblée Sveta Dyndykina, ajoutant : « le plus grand défi est d’assurer la sécurité des journalistes indépendants. Ceux qui restent [en Russie] sont extrêmement courageux, mais ils ont besoin d’un soutien institutionnel. »
Baydar, de son coté, rappelle le cas de « journalistes turcs, dont 1 à Berlin et de deux autres en Suède, sévèrement attaqués, dont un tombé dans le coma à cause de ses blessures à Stockholm. »
Les mêmes journalistes risquent la prison en retournant dans leur pays d’origine, ce dont aussi exposés aussi bien familles et amis.
« Le danger est partout. Le fait d’être à l’étranger ne signifie pas que l’on est automatiquement en sécurité. » rappelle M. Yeung, poursuivant : « Tout le monde a des contacts dans des environnements autoritaires. »
Financement des médias hybrides : entre crainte des bailleurs de fonds et cout de la vie onéreux
Le financement des médias hybrides est une contrainte de taille, les bailleurs de fonds, pas tous heureusement, note Baydar, demeurent réticents à l’idée de financer les médias d’opposition. Leur position trouve explication à leur crainte de ne pas, un de ces jours, être acceptés pour des projets dans les pays objets de critiques des médias en question.
« Au fil du temps, on a constaté une réticence [de la part des financeurs] à remettre en question le régime turc. », explique Baydar. D’autant plus que les journalistes ou les rédactions de forme hybride élisent souvent domicile dans les pays au pouvoir d’achat encore plus cher, notamment l’Europe de l’Ouest.
Publics inaccessibles : les gouvernements multiplient les voies d’inaccessibilité!
Le combat pour l’atteinte des publics, entre médias hybrides et les régimes autoritaires, durera tant que les premiers tirent à boulets rouges sur les seconds. Les premiers multipliant les informations attrayantes, tandis que les secondes déploient des efforts incommensurables pour en restreindre, sinon complètement bloqué l’accès.
Le cas de la Turquie, relève Baydar, est édifiant : « le gouvernement interdit l’accès à de plus en plus de sites web. Les lecteurs de Free Turkish Press utilisent des VPN pour accéder au site lorsqu’il est interdit, mais cela n’est pas possible dans tous les pays. »
En Russie aussi, où, selon Dyndykina, « les publics s’appuient sur les réseaux sociaux, en particulier Youtube, pour accéder aux médias indépendants.
Ce pays, pour contrer les médias hybrides, grands utilisateurs des réseaux sociaux, a déjà interdit Twitter et Instagram, Youtube étant aussi dans la liste.
« Si les gouvernements bloquent Youtube, les médias indépendants disposeront d’une plateforme de moins pour atteindre leurs publics. », explique Mme Dyndykina.
« Même dans les environnements autoritaires où les réseaux sociaux ne sont pas totalement interdits, comme à Hong Kong, les lecteurs ont tendance à éviter de partager sur les plateformes des informations qui pourraient être considérées comme politiquement sensibles par le gouvernement, de peur d’être détenus. », conclut pour sa part, Yeung.
Les options WhatsApp et Telegram
Reste l’option de WhatsApp et Telegram, applications de messagerie privée, pour partager les informations qui dérangent.