Le coup d’Etat au Niger a pris de court Paris et les autres capitales occidentales qui perdent avec Mohamed Bazoum, un allié de poids. Les médias français et occidentaux traduisent clairement cet effet de surprise et s’abstiennent, pour le moment du moins, de mettre le coup de force sur le compte de la Russie.
Dans la tradition de la Françafrique, ce sont les services français qui organisaient les coups d’Etat – quand ils l’estimaient nécessaire – et surtout les préviennent pour préserver des élites dirigeantes acquises.
Le Niger semblait pour Paris, qui a perdu pied au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, un havre de stabilité, un poste “avancé” dans la lutte contre le djihadisme et surtout contre l’extension de l’influence russe et chinoise. Les services français n’ont pas vu venir la fronde du chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tiani, cette lacune en dit long sur la perte d’influence et des capacités de la France qui agit en Afrique pour elle-même et pour les Occidentaux. Ce n’est pas la fin de la “Françafrique” mais le reflux s’accélère avec une combinaison relativement nouvelle et généralisée d’un sentiment anti-français partagé par des élites militaires africaines et une bonne partie des populations.
La facture de la Françafrique accumulée par des années de paternalisme, de soutien à des pouvoirs dictatoriaux, se traduit par ce ressentiment généralisé que les médias français attribuent, trop facilement, à la désinformation menée par le groupe russe Wagner. En réalité, ce n’est pas le nouveau discours panafricaniste qui fleurit sur les réseaux sociaux qui change la donne mais bien l’usure des élites sur lesquelles s’appuie la continuité – en dépit des discours cosmétiques – de la françafrique.
Quand Macron affirme en mars 2023 que “l’’âge de la Françafrique est révolu” et que la France est désormais un “interlocuteur neutre” sur le continent, ils ne sont pas nombreux en Afrique – et sans doute à Paris – à le croire. D’autant que la plus grave déstabilisation du Sahel – et qui s’étend désormais à d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, est survenue après l’intervention militaire de l’Otan, décidée notamment par Nicolas Sarkozy, en Libye. Derrière les cris de victoire d’un BHL déambulant en chemise blanche immaculée en Libye, la Françafrique venait de se donner, elle-même, le premier grand coup de boutoir. Car les pays du Sahel vont sentir rapidement dans leur chair les effets du coup de l’Otan qui a transformé la Libye en un vaste marché des armes pour les groupes armés dont les djihadistes. Les interventions militaires françaises – dont l’opération Barkhane – ont été de gros échecs.
Les analystes français ont tendance à mettre en avant l’action des Russes et ne s’interrogent pas sur les effets de la politique française elle-même au sein des populations et des élites africaines. Il y a pourtant de la matière. A commencer par le fait que le Franc CFA perdure plus de 60 ans après les indépendances. Mais il est vrai que d’autres puissances se positionnent en Afrique. Sans bruit mais avec des investissements conséquents du côté de la Chine, plus bruyant côté russe avec les interventions du groupe Wagner. La Chine a supplanté la France comme premier partenaire commercial de nombreux pays africains.
Les Russes s’engagent plus fortement dans le domaine sécuritaire dans des pays comme la République centrafricaine, le Burkina Faso, la Guinée et le Mali. L’Afrique n’est plus une chasse-gardée, c’est un champ de compétition entre les puissances. Rien n’est fini, mais l’Occident compte les “postes avancés” perdus.
Vu de Paris et de l’Occident en général, le Tchad est désormais le dernier avant-poste incontesté de l’influence française dans le Sahel. Mais le vent de contestation qui cible en particulier l’influence française pourrait contaminer le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Togo. La Françafrique n’est pas morte, mais elle n’a probablement plus d’avenir.