Code de la famille: les Algériennes, sous tutelle depuis 40 ans

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Ce 09 juin marque la quarantième année depuis la promulgation du Code de la famille en Algérie.  Code qui a été voté à huit-clos en1984. Il aura fallu attendre 2005 pour que ce Code soit amendé, loin de satisfaire les luttes acharnées menées par les associations féministes et leurs soutiens.

Au moment où au Maroc un projet de réforme de la Moudawana est en cours, en Algérie, aucune réforme concrète n’est discutée actuellement. Des interventions sur la nécessité d’apporter des amendements se déroulent dans les émissions des chaînes télévisées. Les intervenants, à l’instar des avocats conservateurs tels que Farida Abri et Nadjib Bitam, proposent des amendements pour revenir aux préceptes de la « charia islamique ». Le propos est clair : ils souhaitent durcir le code de la famille. Ils sonnent l’alarme face au taux élevé de divorce, et le refrain de la « destruction de la cellule familiale » bat son plein. On accuse les femmes d’user abusivement du « khol’e », quand ce dernier ne représente que 10% des formes de divorce et que de nombreuses femmes y ont recours pour échapper aux violences conjugales. Pour avoir le khol’e, les femmes doivent verser une somme à l’époux, elles achètent leur liberté, quand les hommes peuvent répudier leurs épouses à tout moment. 

Ces intervenants qui veulent durcir le Code de la famille, évoquent les violences conjugales contre les femmes comme des anecdotes. Le lien n’est pas fait entre les coups et ce Code. Il y a d’abord la symbolique portée par ces lois : les femmes sont sous tutelle à vie, les hommes sont les tuteurs. On pose ainsi une autorité masculine sur les femmes, tandis que les hommes n’ont sur eux que l’autorité divine dont ils sont eux-mêmes les interprètes. Quand il s’agit des affaires familiales, les femmes et les hommes ne sont pas égaux devant la loi ce qui rappelons-le, est anticonstitutionnel, car la constitution assure l’égalité des sexes. Il y a ensuite la matérialisation de cette domination masculine dans la vie de tous les jours.  

Un code qui n’est pas en accord avec notre temps

Les époux peuvent stipuler leurs conditions dans le contrat de mariage. Dans la revue de la Cour suprême, n°1/2002, chambre du statut personnel p 283, il a été stipulé que la privation de l’épouse de la réparation pour divorce abusif est contraire à la loi tant que le contrat de mariage ne comporte pas la condition de virginité. Ainsi, l’époux peut exiger dans le contrat de mariage la virginité de son épouse. Ce qui est considéré comme « virginité » est l’absence de relations sexuelles avant le mariage, la preuve sociale est le saignement lors de la nuit de noces, or Il existe des femmes qui ont un hymen élastique ou qui n’ont pas d’hymen. Les « certificats de virginité » sont encore délivrés, certificats qui sont basés sur l’observation de l’hymen. Il existe tant d’opérations pour surveiller le corps des femmes, alors que le problème réside bien dans ce double standard qui exige une retenue des femmes, et qui autorise aux hommes de disposer de leurs corps librement. 

La précarité des femmes est encouragée par ce Code : les époux peuvent exiger dans le contrat du mariage que les épouses ne travaillent pas. Quant à l’héritage, les femmes ont droit à une part inférieure. Ceci est justifiée par le fait que selon la charia, les femmes sont censées être prises en charge par les hommes. Or ce n’est aucunement en accord avec notre temps, ni avec la dignité humaine.  La dépendance économique assujettie les femmes et les rend vulnérables. Sans ressources, elles perdent leur libre arbitre. La question de l’héritage reste l’un des points les plus virulents des Codes de la famille dans les pays arabes. En Tunisie, même si la polygamie est interdite et que les femmes n’ont pas de tuteur, le partage inégalitaire de l’héritage selon le sexe des héritiers persiste.  Pour contourner cette disposition, de nombreuses personnes ont recours à un partage des biens de leur vivant. 

La polygamie, ou l’adultère masculin légalisé

Depuis 2005, si les hommes peuvent épouser jusqu’à quatre femmes, ils doivent selon l’article 8  informer les épouses et demander une autorisation de mariage au président du tribunal du lieu du domicile, et prouver que l’équité sera assurée. En pratique, des hommes ont recours au mariage polygame sans informer les épouses, le Code prévoit dans ce cas la possibilité aux femmes de demander le tatliq, divorce demandé par l’épouse dans les limites de l’article 53. C’est le cas de Hassina, une femme de 53 ans qui a découvert en 2023 que son conjoint avait une deuxième épouse depuis 5 ans. Ce dernier avait imposé à Hassina de ne pas travailler et contrôlait tous ses faits et gestes. Epuisée par des années de violences conjugales, elle décide tout de même de saisir la justice, elle raconte « avant je ne pouvais pas le quitter car j’avais des enfants en bas âge. Aujourd’hui mes deux filles sont majeures et je fais de la couture pour m’en sortir. Je ne peux pas supporter cette énième humiliation ». Aucune mesure ne prévoit de sanctionner l’époux.  

Après quatre ans de mariage et après maintes tentatives d’avoir des enfants, Nassima apprend qu’elle est stérile. Coup dur pour celle qui rêvait d’avoir des enfants. Son époux évoque la possibilité d’une deuxième épouse qui lui donnerait des enfants. Nassima refuse « je souffre du fait de ne pouvoir avoir d’enfants, et mon mari veut en plus m’imposer une deuxième épouse ! On est toujours ensemble, mais s’il veut passer à l’acte, je divorce ». 

Selon la publication Femmes en Chiffres 2023 du CIDDEF (Centre d’Information et de Documentation sur les Droits de l’Enfant et de la Femme), 3.2% des femmes âgées de 15 à 49 ans sont en mariage polygame. 

La garde des enfants face au chantage

Si la garde des garçons cesse à dix ans et peut être prolongée jusqu’à l’âge de seize ans. L’article 65 prévoit que la garde des filles est révolue jusqu’à l’âge de capacité de mariage. On ne donne pas un âge en chiffre aux filles, l’âge est donné en mariage. 

L’article 66 déchoit la mère de la garde des enfants si celle-ci se remarie avec un homme non lié à l’enfant par une parenté de degré prohibé, autrement dit un homme qui ne serait pas un mahrem. Amina, 39 ans, a dû renoncer à se remarier car son ex-mari a promis de lui retirer la garde des enfants « il ne vient même pas les voir, il ne demande jamais de leurs nouvelles, tout ce qui l’intéresse c’est que je ne sois pas avec un autre, alors que lui s’est remarié et a un enfant avec sa nouvelle épouse » dit-elle. Par peur de perdre la garde de leurs enfants, des femmes repoussent le mariage, l’annulent, ou ont recours au mariage religieux. La volonté de l’ex-époux prime ainsi sur la volonté des femmes et sur l’intérêt de l’enfant.

La nécessité d’une citoyenneté complète

Le modèle du Code de la famille de 1984 a été en vigueur durant vingt ans et a failli dans sa mission de construire une cellule familiale et une société saine. Le Code de 2005 a montré ses limites de par l’inégalité qu’il instaure. Face à la réalité des violences contre les femmes, il n’est plus possible d’ignorer que le plus grand nombre des violences contre les femmes ont lieu dans le domicile conjugal et familial. Les mesures de protection ne sont pas suffisantes, face à la précarité et aux normes sociales, des milliers de femmes subissent des violences quotidiennes en silence, ces violences pouvant aller à l’extrême et finir par le meurtre. C’est le cas d’Anissa, une femme de 37 ans et mère de quatre enfants qui habitait à Blida. Noureddine, son conjoint, l’a battue durant des années et menacé de mort à plusieurs reprises. Elle avait demandé le khol’e mais n’ayant pas de solution d’hébergement pour elle et ses enfants, elle a fini par annuler cette demande. Le 03 juin, tôt le matin alors qu’elle était endormie, son mari prend un marteau et lui fracasse le crâne, il s’est acharné sur le corps devant les enfants. Anissa est la 19ème victime de féminicide recensée cette année. 

Il n’est aucun doute que ce qui détruit la cellule familiale, ce sont ces violences sociales et institutionnelles. Il est primordial de fermer la porte à cette symbolique qui rend les Algériennes mineures à vie et assujetties. Les associations qui accompagnent les femmes victimes de violences telle que le Réseau Wassila, sonnent l’alarme face à la souffrance des femmes et des enfants qui pour s’en sortir, doivent arpenter un véritable parcours de la combattante ! Pour faire face à cela, il est urgent d’établir des lois civiles et égalitaires, seule condition pour que les Algériennes aient une citoyenneté complète.  


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