Cinéma : “Le gang des bois du temple”, un film anti-oligarchie aux accents poétiques

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“Le gang du bois du temple” est le septième film du réalisateur franco-algérien Rabah Ameur-Zaïmeche, projeté aux 18ème Rencontres cinématographiques de Béjaia (RCB).

Ce drame policier, sorti en France début septembre 2023, s’inspire d’un fait divers. En août 2018, huit hommes, dont cinq porteurs d’armes de poing, attaquent un convoi d’un prince saoudien, sorti de l’hôtel Georges V, à Paris, vers l’aéroport du Bourget . L’attaque se déroule à la hauteur de la Porte de la Chapelle. Selon la presse de l’époque, les assaillants ont pris la fuite avec “un butin” d’environ 250.000 euros et des documents confidentiels.

Rabah Ameur-Zaïmeche a placé son histoire dans la quartier où habitent les membres d’un gang qui se retrouvent souvent dans un garage de réparation de voitures. Ces hommes, qui semblent venir de divers horizons et de diverses origines, discutent à bâtons rompus de tout et de rien. Ils font montre d’une grande complicité, d’une amitié sans calcul.  

Le cinéaste laisse la caméra recueillir leurs propos, leurs blagues, leurs échanges vifs, leurs désirs et leurs peurs. Une discussion spontanée entre copains. “Pendant le tournage, on est ouvert à l’imprévisible, à l’inattendu. Et c’est cela qui permet, à un moment donné, de capter du réel”, a confié le cinéaste, lors du débat après la projection à la cinémathèque de Béjaïa.

Des hommes à l’apparence ordinaire

Au gré des discussions, on devine petit à petit le projet de cette bande. Dans le même quartier, un ancien militaire, M.Pons (Régis Laroche), homme solitaire, enterre sa mère dans la dignité. Sa douleur est inexpressive.  
Le film commence par un lourd silence rompu par une chanson mélancolique célébrant la beauté du jour lors de la cérémonie chrétienne d’enterrement. Le cinéaste prend tout son temps pour cette scène à l’église. Une manière originale de lancer une histoire tragique qui va rebondir à vive allure mais également pour souligner ce sentiment diffus d’une mort qui rôde dans les parages.  La scène du braquage est filmée d’une manière efficace et réaliste avec une caméra à l’épaule en mouvements continus.

M. Pons est un ami des membres du gang mais n’est pas au courant de leur acte. L’intendant du prince arabe, un américain, engage un détective privé (Slimane Dazi) pour enquêter sur le braquage. Comme le prince, le détective est peu bavard. Cela tranche avec la loquacité des copains du gang, des hommes à l’apparence ordinaire et qui n’ont pas le visage des voyous que le cinéma français des banlieues adore montrer, voire célébrer. Dans ce polar, l’enquête du détective passe au second plan et la police est invisible.

“Nous avons pris le point de vue de gens ordinaires, ceux qui vivent dans les grands ensembles, le peuple de France”, a souligné le cinéaste.

“Questionner toute la beauté du monde”

Le film, parfois contemplatif, n’est pas un tableau noir avec des cases définissant les méchants, ceux qui volent, et les bons, les victimes du vol, comme dans une histoire conventionnelle de gangsters. Rabah Ameur-Zaïmeche a introduit doucement des petites touches poétiques comme cette scène où trois amis du gang marchent dans un bois verdoyant à côté de la cité et donnent des graines d’un geste naturel aux pigeons, comme s’ils distribuaient des billets de banque au petit peuple.  

Dans d’autres temps, on aurait appelé à distribuer des brioches. “Il y a un fossé abyssal entre les tenants de l’oligarchie, représentés par la figure du prince, et les jeunes des quartiers populaires. C’est à travers ce fossé qu’on peut découvrir et questionner toute la beauté du monde”, a souligné Rabah Ameur-Zaïmeche.

Il  a rappelé qu’il a grandi dans la cité des Bosquets à Montfermeil. C’est dans cette cité que Rabah Ameur-Zaïmeche a tourné son premier film “Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?”  en 2001. Les grands ensembles et les cités intéressent le cinéaste. “Les gens sont passés des bidonvilles, dans les années 1950, à des cités où ils ont droit à une cuisine équipée, à un chauffage central, à des baies vitrées. Et c’est là où habitent une grande partie des classes populaires issues de plusieurs minorités dont les algériens”, a-t-il dit lors d’un autre débat au musée Bordj Moussa à Béjaïa.

L’assassinat, en 2018, du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite, à Istanbul, a marqué le cinéaste au point de montrer le prince arabe comme un diable dansant dans une soirée arrosée à la musique rai, plongée dans une semi-obscurité.

“Classes dangereuses”

“Il y a des gens qui se croient impunis, au-dessus des lois, et qui peuvent se permettre d’assassiner n’importe qui sauf que la justice viendra un jour frapper à leur porte”, a-t-il dit.
Le long métrage est marqué par une présence tendre des enfants. “Qu’est ce qui nous restait dans notre monde dominé par les forces de l’argent, si n’est les enfants”, a confié Rabah Ameur-Zaïmeche.

Dans le film, les rumeurs de la ville se mélangent au chant des pigeons, aux sirènes des voitures de police et aux cris des enfants comme pour évoquer une existence bruyante dans des cités où des humains ont des histoires à raconter, des petits rêves. “Les classes populaires sont considérées comme dangereuses pour la bourgeoisie qui est dans le centre ville. De ces classes dangereuses peuvent venir de belles choses. Le vrai adversaire est celui qui t’écrase dans le rapport de domination”, a appuyé le cinéaste cachant à peine une colère tranquille.


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