Mariam Abu Daqqa raconte, dans cet entretien avec Wiame Awres, son long parcours de militante de la cause du peuple palestinien, son engagement précoce dans la lutte au sein du FPLP et revient sur son “expulsion“ par les autorités françaises et les méthodes brutales utilisées contre elle par les policiers. “Je me suis sentie comme attaquée par les colons“.
Mariam Abu Daqqa est une révolutionnaire anticoloniale et une militante féministe palestinienne née en 1952 à Ghaza. Durant son enfance, elle a vécu quelques années en Egypte avec sa famille avant de retourner à Ghaza. En 1967, à l’âge de 15 ans, elle était dans les rangs du Front Populaire de la Libération de la Palestine (FPLP), dans lequel elle deviendra plus tard dirigeante.
J’ai contacté Mariam Abu Daqqa suite à son arrestation arbitraire en France et son expulsion vers le Caire au courant du mois de novembre. Grande militante, elle a donné des conférences dans plusieurs pays d’Europe, d’Afrique et d’Asie sur la cause Palestinienne et sur la lutte féministe. Elle a été honorée dans plusieurs pays dont l’Algérie où elle a été désignée meilleure personnalité arabe féminine par l’Union Nationale des Femmes Algériennes en 2020. D’une voix calme et assurée, elle nous a livré à travers un entretien son parcours. Emprisonnée à l’âge de 15 ans, forcée à l’exil, elle a mené une vie de luttes sous tous les fronts.
Les débuts au FPLP
Mariam Abu Daqqa a commencé à s’intéresser dès son jeune âge à la lutte de libération palestinienne, « nous quittons très tôt l’enfance, nous n’avons pas le temps de grandir et devenons vite adultes », nous dit-elle. Elle écrit une lettre à un des dirigeants de la FPLP (Front populaire pour la libération de la Palestine): « Le Front Populaire recrutait des garçons mais pas des filles, je trouvais cela injuste, car en tant que femme je devais également participer à la libération de mon peuple. J’ai écrit à un des dirigeants pour signifier ma volonté de lutter, il m’a envoyé une lettre à son tour me disant qu’ils allaient bientôt ouvrir des camps d’entraînement pour les filles, et que je serais sitôt invitée. Je ne me suis pas arrêtée là, j’ai écrit à Djamel Abdennassar, le président égyptien, et il m’avait répondu et même envoyé des livres. Je voulais montrer aux hommes qu’une femme pouvait également participer à libérer son pays ».
Alors qu’elle était au collège, une nouvelle répression des manifestations anticoloniales s’abat sur Ghaza « J’étais à l’école quand il y a eu de grandes attaques israéliennes, nous avons trouvé refuge avec d’autres filles dans la maison d’une vieille dame; nous y sommes restées cachées sept jours sans boire ni manger. En sortant, nous avions vu des cadavres dans la rue et des bâtisses détruites. Ma conviction de lutter n’a été que renforcée. J’ai intégré le Front Populaire secrètement et participé à des opérations. ».
Prison, tortures et expulsion
Alors qu’elle était en visite chez sa famille, plusieurs chars israéliens débarquent, la maison est encerclée. « Je me disais: tout cela pour une jeune fille de 15 ans ! Ils m’ont emmenée, et durant l’interrogatoire, j’ai fait semblant de ne rien comprendre, je donnais des réponses sans aucun sens. Je n’aurais trahi ma cause pour rien au monde. Celui qui m’interrogeait s’est énervé et a frappé ma tête contre le mur. ».
Mariam Abu Daqqa subit maltraitances et tortures, elle est emprisonnée durant deux années. Libérée à l’âge de 17 ans, il lui est ordonnée de quitter le territoire en 24h: « cette expulsion a été comme une mise à mort, j’étais parmi les premières expulsées. Ils m’ont déposée à la frontière jordanienne, je n’avais aucun papier sur moi. Je me suis retrouvée coincée, ne pouvant ni aller en Jordanie, ni en Israël. ». Cette errance a duré 11 jours, avant que des camarades du FPLP la retrouvent et l’introduisent en Jordanie. Par la suite, elle est allée dans plusieurs pays : au Liban où elle a été responsable d’une section militaire du FPLP, en Syrie, en Lybie, en Irak, entre autres.
Mariam Abu Daqqa souhaitait poursuivre ses études, elle a pu obtenir une bourse pour la Bulgarie où elle a effectué un majister en sciences sociales dont le sujet a été Le développement de la conscience politique de la femme Palestinienne à l’époque actuelle, poursuivi par un doctorat en philosophie sur La libération de la femme, des coutumes et des traditions dans la culture arabe. Durant cet exil, elle n’avait plus aucun contact avec sa famille « J’ai passé de nombreuses années sans avoir de nouvelles de ma famille, c’était un déchirement. L’accès au téléphone était très restreint, Israël m’a empêché de revenir à ma terre et j’ai dû vivre 30 années en exil. J’ai pu revoir une partie de ma famille en Egypte, plus de vingt ans après, ils ne m’ont pas reconnue à cause des nombreuses années où nous avons été séparés. Mon père est mort alors que je n’ai même pas pu le voir. ».
Le retour à la terre natale
Trente ans après son expulsion, Mariam Abu Daqqa retourne à Ghaza, elle fonde l’Association palestinienne d’études féministes développementales, où plusieurs études ont été menées dont des recherches sur les prisonnières Palestiniennes, les tortures qui leur sont infligées et leur impact suite à leur libération. « Au sein du Front Populaire, je n’ai jamais senti de différence en tant que femme par rapport à mes camarades, ils font au contraire très attention à traiter au mieux les femmes et les hommes. Pour construire un véritable Etat de droit, il faut qu’il y ait une égalité entre hommes et femmes. J’ai participé à plusieurs conférences autour des droits des femmes dans le monde, et je dis à chaque fois que nous luttons pour les femmes palestiniennes, mais aussi pour les femmes du monde car nous sommes toutes confrontées à l’impérialisme et au sionisme ».
L’arrestation en France
En octobre dernier, Mariam Abu Daqqa était en France, invitée par quatre associations : BDS, Union Juive Française pour la Paix, Collectif Palestine et Europe Palestine. « Mon arrivée en France a été tout à fait normale, je devais donner 17 conférences sur la condition de vie des Palestiniens sous colonisation, ainsi que sur la condition des femmes Palestiniennes. J’y suis allée pour voir la démocratie européenne, j’ai été surprise de voir plutôt une violation des droits humains. ». Plusieurs des événements prévus ont été interdits; Elle a notamment été interdite d’accès à l’Assemblée nationale alors qu’elle était invitée pour la projection du film « Yallah Ghaza », dont elle est l’une des protagonistes. L’acharnement se poursuit, suite à un arrêté d’expulsion ordonné par le ministre intérieur français. Mariam Abu Daqqa est arrêtée à Marseille et assignée à résidence. L’arrêté d’expulsion est levé par le tribunal administratif de Paris le 20 octobre suite à un appel, avant qu’il ne soit validé par le Conseil d’Etat le 08 novembre. Mariam Abu Daqqa dénonce le traitement qui lui a été infligé « au tribunal ils sont allés jusqu’à fouiller facebook et en sortir des photos. Vous vous rendez compte ! Ils ont aussi mis en avant que le FPLP est une organisation terroriste, alors que c’est une organisation de libération. Nous sommes sous occupation et avons le droit de nous défendre. ». Alors qu’elle avait un billet d’avion pour le Caire avec départ prévu au 11 novembre, Mariam Abu Daqqa est brutalement arrêtée le 09 novembre à Paris « trois hommes armés en noir nous ont attaqué moi et les femmes françaises qui m’accompagnaient, ils m’ont asséné de forts coups à la tête avec leur arme et m’ont mise de force dans la voiture. Je n’ai su que par la suite que c’était la police. Je me suis sentie comme attaquée par les colons. J’avais une bosse sur la tête et j’étais en état de choc. Durant quatre jours, j’ai été emmenée dans quatre cellules et commissariats différents. Ils ont saisi toutes mes affaires et même mes médicaments, j’étais sans chaussures, il faisait froid et je n’avais ni coussin ni couverture, il y avait seulement un banc en bois. Ils me fouillaient constamment, comme si j’avais des bombes sur moi. L’acharnement que j’ai vécu n’était pas seulement contre ma personne, mais contre la résistance palestinienne. ».
“C’est mon droit de défendre mon peuple!”
Suite à cette terrible maltraitance, Mariam Abu Daqqa, de nationalité égyptienne, arrive au Caire où elle est accueillie par des officiels et par des associations. Elle raconte sa désillusion suite à ce qu’elle a subi « j’ai compris que ce n’est pas à l’Occident de m’apprendre la démocratie, mais c’est à moi de la leur apprendre. Depuis le 07 octobre j’ai perdu 64 membres de ma famille, ainsi que de nombreux proches et amis qui ont été tués par les bombardements israéliens. Et on attend que je ne parle pas de ça ? J’ai été traitée comme si j’étais en terre coloniale. Ils ont réagi comme si j’étais une terroriste, alors que c’est mon droit de défendre mon pays, c’est mon droit de défendre mon peuple. Je suis pour la lutte de libération pour tous les peuples. Si la France était occupée, je participerais à sa libération ! Où sont les droits humains ? On dirait que la loi internationale ne nous concerne pas ».
Face à la propagande sioniste véhiculée notamment par les médias occidentaux, Mariam Abu Daqqa dénonce ce double standard: « cette fois, la vérité a éclaté. Le monde voit de face ce que commet la colonisation israélienne et il ne peut plus dire qu’il ne savait pas. Face au génocide en cours, les peuples du monde s’unissent contre l’injustice. Les masques sont tombés et il n’y a plus de retour en arrière. Car Israël ne menace pas que la Palestine, mais menace également l’Egypte, le Liban. Israël est soutenue et dirigée par les Etats-Unis et les pays Européens, qui doivent cesser cette injustice coloniale. Les pays arabes doivent unir leur force plus que jamais, afin de résister à cet impérialisme économique et colonial. La cause palestinienne est la cause de toute personne et de tout peuple libre sur cette terre. ».