C’est la première représentation de “Hadja Okhra” (autre chose) en dehors de la Tunisie. Cette pièce est en compétition aux Journées théâtrales arabes de Sétif qui se déroulent, pour leur deuxième édition, jusqu’au 18 février 2024.
Mise en scène par Mohamed Kouas, d’après une dramaturgie de Nadji El Kenouati, la pièce a été présentée, vendredi 16 février, à la grande salle de la Maison de la culture Houari Boumediène de Sétif, à la faveur de la compétition de ces Journées, organisées par l’Association culturelle Fen El Ibdaa de Sétif.
Oubliés en dehors de la boutique, deux mannequins, Can (Asala Kouas) et Man (Yahia Faïdi), partent sur les traces du “patron”. Ils se déplacent, sous couvert de la nuit, dans une ville livrée à tous les paradoxes et à tous les tourments. Ils visitent les lieux où leur patron avait l’habitude de se rendre dont un night club, l’hôpital, l’aéroport et ailleurs. Le constat qu’ils font est critique. “Les gens de la liberté sont inquiets par l’anarchie et les gens de l’anarchie sont heureux de la liberté. J’ai semé un cheveu entre eux”, lance Man. “Toi tu sèmes et moi j’enlève”, réplique Can. La pièce prend parfois un ton burlesque.
Man et Can évoquent la pauvreté, la dégradation du pouvoir d’achat des tunisiens, les querelles politiques, la harcèlement sexuel des femmes, le rapport des citoyens aux services publics…Le “patron” ou “Moul el Mall”, qui s’apprête à quitter le pays, semble symboliser l’image d’un pouvoir qui peut ne pas avoir de visage. Mohamed Kouas a donc “donné” vie à des mannequins comme s’il était en quête d’un “autre” regard, pour sortir des complaintes habituelles de comédiens faisant “la petite résistance” sur scène, ça sera donc “hadja okhra”, même si l’effet “Barbie”, la poupée qui devient femme dans le film de Greta Gerwig, est bien là.
Proie facile à toutes les manipulations
Can et Man apprennent “la langue” au début du spectacle et prononcent : “Apprend” (تعلم), “Essaie” (حاول) et “Avance” (تقدم). Ils doivent s’adapter aussi au “langage” des humains mais ils savent qu’ils sont une proie facile à toutes les manipulations, portant des habits qu’ils ne leur appartiennent pas et déplacés selon le “bon vouloir” de “Moul El Mall”. Can et Man vont-ils se rebeller ? Vont-ils retrouver leurs places rigides dans la boutique pour être exposés ensuite aux regards des passants ? Ou vont-ils suivre “le patron” dans un départ qui ressemble à une fuite à l’étranger ? Questions ouvertes.
La duodrame “Hadja okhra” est une dénonciation féroce de “la chosification de l’humain”, voire plus, de la déshumanisation qui prend plusieurs formes pour se “banaliser”. “Regardez ce qui se passe à Ghaza, par exemple. L’humain n’a plus aucun sens. Les citoyens du monde ont aujourd’hui, la sensation d’être manipulés par des forces. La pièce est critique à l’égard de tout pouvoir, même l’autorité du metteur en scène sur le comédien est décriée, remise en cause”, souligne Nadji El Kenouati.
Can fait “un bras d’honneur” multiplié pour suggérer l’agacement par rapport à une situation devenue étouffante alors que Man tente de comprendre les absurdités qui l’entourent. Il adapte lui aussi le verbe moqueur.
Grand prix en Tunisie
Les dialogues, écrits parfois comme des phrases en rafales, appuient le jeu alerte des deux comédiens, forcés d’adapter des gestes mécaniques. La scénographie fonctionnelle est construite sur des cadres en bois et un rectangle aux couleurs changeantes pour suggérer le changement de situation et d’espace.
“Hadja Okhra” a décroché, en novembre 2023, le Grand prix de la meilleure création théâtrale, lors de la première édition du festival les Saisons de la création, organisé par le Théâtre national tunisien (TNT). Cette manifestation est dédiée aux nouvelles productions théâtrales en Tunisie.
La pièce “L’enjeu” a été la première pièce en compétition à être présentée, jeudi 15 février au soir, à Sétif. Cette pièce est produite par l’Association Les compagnons de Nedjma et mise en scène par Salim Bensedira. Vendredi 16 février en soirée, la scène a été mise à disposition de la pièce omanaise “El gharib ou nakib” (l’étranger et le capitaine), écrite et mise en scène par Oussama Al Zaïdi.