Youcef Mecheria, spécialiste et chercheur en sciences islamiques, expert anti-terrorisme et de la déradicalisation, Président de l’Association nationale Passerelles de la Paix (ANPP), Secrétaire général de la Ligue arabe des Oulema, prêcheurs et imams du Sahel (LOPIS), fondateur du Forum international interreligieux et ex-inspecteur central au ministre des Affaires religieuses et des Wakfs.
Dans cet entretien, il nous livre son appréciation des enjeux du tourisme religieux, ses préalables et l’impact économique qu’il génère.
Le tourisme religieux est un type de tourisme réalisable selon vous. Quels seraient ses préalables ?
Les préalables s’articulent autour de deux grands axes. Le premier, la vastitude de l’Algérie, un pays continent, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, le grand Désert, Tassili et Tamanrasset, en sus des potentialités côtières et forestières et autres. Autant de potentialités à valoriser et à promouvoir.
Le second, la dimension historique de l’Algérie qui plaide pour l’instauration d’un tourisme religieux, donc spirituel, qui à ses émules partout dans le monde, particulièrement arabo-musulman, attachés à un pèlerinage cultuel au niveau des sites et monuments que recèle notre pays. Le charme de la découverte de ces derniers s’élargit à une imprégnation aux valeurs spirituelles.
Avant les foutouhate islamiques, l’Algérie comptait déjà des sites archéologiques d’une importance culturelle avérée dont il ne reste que la volonté politique pour en faire une ‘’destination touristique’’ de premier choix. Il est, en ce sens, devenu primordial pour l’Algérie de trouver des alternatives aux recettes issues des hydrocarbures. Le tourisme d’une manière générale et le tourisme religieux en particulier en font partie. Des pays en ont fait l’expérience et ont réussi de faire du tourisme, considérée comme industrie de services par excellence, un créateur de richesses et un pourvoyeur d’emplois.
Logiquement, ces axes, dons de la nature et de la riche civilisation arabo-bérbéro-musulmane de l’Algérie ne peuvent être performants qu’à la faveur de la concrétisation de mesures d’accompagnement, tels que le transport (terrestre, aérien et maritime), des structures hôtelières et d’accueil digne de nom, et ce, pour ne citer que celles-là, qui doivent être adossées à une volonté politique d’envergure.
En Algérie, quels sont les sites et monuments qui peuvent s’inscrire dans une politique de promotion du tourisme religieux ?
Pour les sites, nous citerons les lieux d’adoration et les cimetières chrétiens et juifs, qui offrent une opportunité pour se ressourcer dans les profondeurs de la Mémoire. Il ne vous échappe pas que l’extermination et les représailles dont ont fait l’objet, en Andalousie, Musulmans et Juifs, ont abouti à un exode massif de ces derniers. Heureusement pour eux, l’Afrique du Nord, dont l’Algérie, fut leur terre d’accueil et de refuge.
Béjaia, Tlemcen, Médéa, Annaba, Tamentit à Adrar et tant d’autres sont les régions indiquées pour servir d’hôtes aux touristes de nationalités et sensibilités religieuses différentes, par la variété des sites et monuments dont elles sont pourvues.
Nous citerons exclusivement la Basilique Saint- Augustin d’Annaba, portant le nom de Saint Augustin qui demeure l’un des grands réformateurs du christianisme, ayant révolutionné la pensée ecclésiastique, et ce, bien avant les Foutouhate islamiques.
Mais il y a aussi Notre Dame d’Afrique, bâtie il y a de cela 150 ans, la Chapelle Santa-Cruz d’Oran, ainsi que les cathédrales basées au Sud d’Algérie, à Ghardaia et Tamanrasset.
Après El Feth el islami, le meilleur attrait touristique religieux demeure, à notre humble avis, le Mausolée de Sidi Okba ibnou Nafiaa, à Biskra, wilaya appelée à juste titre la portière du Sahara. Il y a aussi la première mosquée construite en Algérie, juste après el foutouhouate el islamia, à savoir, la mosquée Abumouhadjir Dinar (actuellement Sidi Ghanem), à Mila, et aussi celle de Sidi Maaiza de Tenes, à Chlef. Bien sûre la liste est encore longue des monuments religieux, parmi lesquels, la Mosquée El Kebir d’Alger et ceux au nombre de trois à Nedroma, dans la wilaya de Tlemcen, édifiés durant le règne des Mourabitine, qui sauront valoriser le tourisme religieux.
Outre cela, l’Algérie compte d’innombrables tariket du soufisme, que l’Etat peut exploiter comme lieux de tourisme religieux. Le plus important demeure le monument de la tarika Tidjania à Ain El Madi, dans la wilaya de Laghouat. Les trois autres de non moindre importance sont : Boussemghoune à El-Bayadh, Tamassine à El-Akhra, wilaya d’El Oued, et le troisième à Tlemcen. Ces quatre hauts-lieux du soufisme peuvent servir de pèlerinage spirituel. Déjà, selon les chiffres, ce sont entre 60 à 100 millions d’adeptes du soufisme qui viennent s’y recueillir annuellement.
Nous n’allons pas restreindre le tourisme religieux vers les Zaouia à la seule Zaouia Tidjania, mais nous espérons qu’il soit également déployé vers les autres Zaouia, à savoir, Kadiria, Kantia, Alaouia et Rahmania, qui ont leurs adeptes pas seulement au Maghreb et en Afrique, mais également à l’échelle arabo-musulmane.
Le tourisme religieux trouvera également ses lettres de noblesse par le bon usage touristique des Mausolées et Kseurs construits lors des civilisations des Zianides, Marinides et Mourabithine.
Nous ne pouvons, dans le cadre de l’alignement des superlatifs en termes de structures religieuses, passer sous silence la Grande Mosquée d’Alger ou Djamaa el Djazair, le troisième plus grande mosquée dans le monde, après El Haramaine Echarifine (la Mecque et El Masdjid Ennabaoui (La Mosquée de Médine)
Peut-on harmoniser entre tourisme attractif des étrangers et respect des us et coutumes et surtout nos valeurs islamiques? Et ce, sachant que le tourisme religieux est assimilé à la foi.
Oui il n’y a aucun paradoxe à les mettre ensemble. Pour l’exemple, au Sultanat d’Oman, la Grande Mosquée du sultan Qaboos, enregistre annuellement un afflux d’étrangers, touristes et visiteurs, venus du monde entier, sans que personne ne trouve à redire. Mieux, les gens chargés de l’accueil, en collaboration avec les autorités cette monarchie, ont mis à la disposition des visiteurs une traduction instantanée, orale et illustrée (brochures et flyers). Ceci n’a fait qu’augmenter le visitorat vers ce Sultanat.
Le 16 avril 2021, une convention entre les ministères du Tourisme, de l’Artisanat et du Travail familial et des Affaires religieuses et des Wakfs. L’Hadj et l’Omra sont les seules actions connues pour le moment en Algérie. Quel est votre avis ?
Je pense à mon humble qu’il faut voir plus grand que cela. Le bricolage, et je l’appelle ainsi, doit cesser de meubler nos actions politiques. Je vais vous donner un exemple : contrairement au Sultanat d’Oman, nous, en Algérie, nous n’avons pas de traduction au profit des étrangers venus chez nous. Je l’ai eu à le constater lors de l’accompagnement des visiteurs à la Casbah ou la Mosquée Ketchoua : on n’y trouve aucune plaque explicative en anglais, la langue du savoir.
Je ne cesserais de rappeler, dans ce cadre, que l’Algérie est un continent : 1 400 km de cotes, des stations thermales aux vertus curatives avérées. Aussi, l’ouverture des frontières avec les pays voisons va contribuer à une ruée d’estivants vers les pays frères, alors que nous avons les atouts pour garder nos vacanciers chez nous et même y attirer les touristes.
Economiquement parlant, qu’aura le pays à engranger, en valeur si c’est possible, à l’issue du développement du tourisme religieux ?
Il suffit pour cela de jauger de l’impact économique généré par les Zaouaia Tidjania et Kadiria ainsi que le tourisme religieux des Chrétiens pour s’en rendre compte. Le tourisme religieux en Algérie aura à engranger des millions de dollars de rentrées en devises, en accueillant les étrangers venus du monde entier. Mais aussi en Dinars, car le tourisme aura à drainer des recettes issues de la dynamique commerciale (hôtellerie, restauration, transports) du fait de l’adhésion des touristes et visiteurs locaux.