Rencontre avec le réalisateur Walid Bouchebbah: “Dans El batha, il fallait rester proche de la réalité…”

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El batha 2 a été la série comique la plus vue durant le Ramadhan 2024. Diffusée par Echourouk TV, El Batha, qui est à sa seconde saison, a enregistré plus de 86 millions de vues sur la plateforme Youtube, durant sept semaines. Ecrite par Nassim Haddouch et Nabil Asli, El Batha, réalisée par Walid Bouchebbah, raconte le quotidien d’un quartier populaire, quelque part en Algérie. Un univers où tout le monde est au courant de ce qui passe dans le quartier où l’As (Nabil Asli) passe pour un chef de bande, bousculé par son rival Bonar (Nassim Haddouche), sur le contrôle du territoire. Entre les deux, évoluent des personnages hauts en couleur qui tentent d’exister au petit bonheur la chance.

El Batha, déclinée en deux saisons, a décroché le grand prix de la meilleure œuvre, de la meilleure mise en scène et des meilleures interprétations masculine et féminine dans le concours algérien “Le générique d’or” pour 2024. Walid Bouchebbah est le réalisateur aussi de la série comique “Mayna”, diffusée durant le Ramadhan 2024 par l’ENTV. Rencontre avec le jeune réalisateur Walid Bouchebah, connu aussi pour ses mises en scène au théâtre.

24H Algérie: El batha, dans ses deux saisons, se distingue par ses décors. Des décors qui paraissent être de vrais personnages dans la série. Comment ont-ils été conçus ?

Walid Bouchebah: C’est vrai. A chaque fois, je veux créer un univers dans ce que je réalise pour que mes personnages arrivent à y évoluer. Il est nécessaire d’avoir une identité visuelle et un espace pour les personnages. A partir de là, je m’intéresse en premier aux décors.

Il y a aussi l’influence du théâtre dans la scénographie…

Oui, un peu. Créer un espace dans le théâtre est important. Les décors d’El batha ont été conçus par Djamel Zourane. Des maquettes ont été faites sur l’univers imaginé d’El batha. Nous nous sommes dits qu’il fallait rester proches de la réalité dans El batha. Nous avions des décors de références dans nos têtes. Des décors élaborés selon les contraintes de mise en scène. Le café devait être, par exemple, dans l’axe du personnage de Bernou (Rabie Oudjaouat), la ruelle devait être en face du café, les balcons en face de Bernou. Donc, dès le début nous avons tracé des schémas pour que les décors nous facilitent la mise en scène.

Dans El batha, les décors sont impersonnels, le téléspectateur ne sait pas dans quelle ville algérienne se déroule l’histoire

Exactement ! Nous avons fait un patchwork, un mélange de quartiers hors de la capitale et les quartiers d’Alger, pour avoir une nouvelle architecture qui va dans le sens de l’histoire racontée dans El batha.

Comment des personnages tels que Bernou, l’As, Okcha, Absi ont-ils été conçus avec les scénaristes ?

Les caractères étaient déjà écrits par les deux scénaristes. Il fallait bien travailler puisque les personnages devaient être proches du réel, de la société. En même temps, il ne fallait pas reprendre en brut ce qui existe déjà en société. Nous nous sommes dits qu’il fallait créer des personnages originaux surtout avec un humour décalé. Ce que je demande aux comédiens c’est qu’ils aiment leurs personnages. Il faut travailler sur le visage pour passer d’un sentiment à un autre. Par exemple, Camélia Bendrissi a aimé le personnage de Habiba, la sœur de l’As.

Surtout que El Batha est une comédie noire. Pour la saison 2, elle est devenue plus dramatique
Dans le drama, il y a déjà de la comédie. Ce n’est pas forcément tragique…

Et comment est née l’idée de la préquelle (retour en arrière dans les faits pour raconter l’histoire des personnages) pour la saison 2 d’El batha ?

L’idée de la préquelle existait déjà l’année écoulée dans la tête de Nabil Asli. Au départ, nous ne voulions faire qu’une saison d’El batha. Nous avons discuté après la fin du tournage de la question d’une deuxième saison. Sincèrement, je n’étais pas chaud pour ce projet. J’ai proposé aux scénaristes de raconter d’autres histoires. Après la fin d’El batha 1, nous étions partagés sur la question. Nous avions peur de perdre des personnages auxquels le public s’est attaché durant la première saison en 2023.

Cette année, les personnages ont eu plus de profondeurs. Et, il n’y a aucune justification dans la préquelle

Nous voulions donner plus d’espaces aux personnages pour calmer “une certaine faim” par rapport à eux. Rabie Oudjaout, qui a interprété le rôle de Bernou, et Yasmine Abdelmoumen, qui a joué celui de Rabéa, ont montré qu’ils ont un grand potentiel. A Béjaïa, l’Association Project’heurts a organisé une séance de projection de quelques épisodes d’El batha (en 2023). La salle était pleine.  Un débat intense a duré plus de deux heures et demie. Je suis sorti le cœur plein, décidé à accepter l’idée de Nabil Asli de faire une saison 2 d’El batha. Les gens parlaient lors du débat avec beaucoup d’émotion. C’était touchant.

Comment expliquez-vous cet attachement du public à El batha ? Est-ce à cause de la nouvelle tonalité prise par cette comédie s’éloignant des sentiers battus et du déjà vu à la télé algérienne ?

Il y a d’abord une proposition artistique portée par El batha et le caractère des personnages qui ne ressemblent à personne et qui, en même temps, ressemblent à tout le monde. Il y a une certaine profondeur par rapport à la société. Les personnages viennent de cette société. Je dois dire que j’ai eu de la chance de diriger des comédiens qui étaient à fond par rapport à leurs personnages. Dès le premier jour du tournage, j’ai dit à l’équipe que nous devions oublier la première saison. “Nous sommes là pour tourner une nouvelle série”, je leur avais dit.

Il fallait approfondir les personnages, travailler les traits de caractère…On crée un côté relation avec les personnages. La scène de Bernou avec sa fille Maria (Haifa Rahim) a duré plus de quatre minutes. Nous avons répété plusieurs fois pour créer le lien entre eux et une tension. Je ne voulais pas que cette scène soit trop dramatique. Le sentiment devait être exprimé au milieu de la scène. La scène a été finalisée après onze prises. Au bout de la cinquième prise, j’étais découragé surtout avec un décor cloitré et d’autres contraintes techniques. Après un moment d’arrêt, les techniciens sont venus me voir pour m’encourager à réussir la séquence même si nous devions la tourner en deux ou trois jours. Cette scène nous a permis de constater que notre groupe était bien soudé, uni…

Dans le casting, on constate que avez pris  beaucoup de comédiens de théâtre

La vérité est que je ne fais pas de casting large. Des comédiens sont déjà dans ma tête avant le tournage de la série. Par exemple, Amine Allali (qui a interprété le rôle de Fouad dans El batha 2) a travaillé avec moi dans un court métrage. Dès que je l’ai vu le jour du casting arriver de Mostaganem, je l’ai choisi pour ce rôle.  Bernou était le dernier personnage à être validé par les scénaristes et moi-même. Des candidats s’étaient présentés pour ce rôle. Je connaissais Rabie Oudjaout dans le théâtre, mais je ne le connaissais pas de près. Le jour de sa venue, j’étais en répétition avec un autre groupe. J’ai discuté avec lui, découvert un homme cultivé avec une bonne mémoire,  et tout de suite, j’ai senti que Bernou, c’était bien lui. Je lui ai demandé de passer sur le champ à la production sans attendre le lendemain !

Pour Absi, Nabil et Nassim ont écrit le personnage pour Adel Cheikh. Adel a réellement aimé son personnage. Pendant le tournage, il a créé beaucoup d’énergie positive, donné beaucoup de rythme. Dans les scènes de café, je me suis basé sur son personnage. Même en comédie, j’adore les silences (Absi ne parle pas dans certaines scènes, réagit par le regard). Smail Aissaoui (El oukcha) est un comédien qui a marqué notre enfance. J’avais une image sur lui et je voulais qu’il soit avec nous. Il a un beau silence, sait bien faire les nuances (…).

El batha se distingue aussi par des dialogues bien écrits. Ils donnent de l’épaisseur à l’action, au jeu des comédiens…

Les scénaristes ont pris leur temps pour écrire les dialogues et faire parler tous les personnages. Ce qui est bien cette année est qu’ils ont écrit les dialogues par rapport des accents locaux, comme pour Bernou avec son parler de Chlef (…) Dans le dernier épisode de la saison 2 d’El batha, il y a un dialogue entre deux personnages (l’As et Bernou) dans un  tunnel. Le tunnel donne ce sentiment de choix entre avancer ou reculer. Ils sont restés au milieu du tunnel. J’avoue que j’ai peur des moments où les personnages disent la vérité. Peur par rapport à la manière de les mettre en place, à la distance qu’il faut prendre pour les filmer, à la distance qui existe entre eux (L’as sort du tunnel pour se livrer à la police). La question du choix je l’ai mise en place dans les dernières séquences de la série(…)  Comme on était dans une préquelle, on était obligé de changer les enfants. J’ai casté plus de 80 enfants pour le rôle de Hicham (le frère de l’As). Yanis Aouin a lors du casting constitué lui même une équipe selon le schéma d’un match pour choisir les meilleurs. Lorsque je lui ai posé la question sur son poste dans ce match, il m’a répondu spontanément : “moi, je joue avec le numéro 10”. Je l’ai tout de suite pris Yanis pour le rôle de Hicham !

Une saison 3 pour El batha est-elle possible ?

Je ne pense pas ! Après, avec les scénaristes, sait-on jamais. La décision leur appartient.

Parlons d’une autre série que vous avez réalisé aussi : “Mayna”. Comment est né ce projet au contenu quelque peu écologique ?

Après “Bab dechra”, (diffusé par l’ENTV en 2018 avec Biyouna, Mohamed Bouchaïb et Numidia Lezoul d’après un scénario de Lamia Kahli et Sidi Ali Bouchafaa), nous voulions écrire une nouvelle série pour sortir de la relation de famille. Une histoire où les personnages n’ont pas des liens familiaux mais qui évoluent dans un même univers. J’ai lu sur les réseaux sociaux, une information sur la présence de braconniers dans le sud algérien. J’ai eu donc l’idée d’écrire une série comique sur ce phénomène. Pendant l’écriture, on a annoncé la réapparition du guépard saharien dans le sud algérien (en 2020). C’était l’autre déclic pour l’écriture de “Mayna”. J’ai toujours voulu tourner dans le Sahara algérien. Nous avons tourné dans la région de Timimoun avec la présence de comédiens du sud du pays comme Tenou Khilouli, Slimane Horou et Milouda Ouatik. Tous les figurants étaient parmi les habitants de Timimoun.

Chaque personnage parlait avec son propre accent…

Nous avons essayé de trouver des verbes qui se rapprochent. L’idée est que les personnages ne se connaissent pas et chacun parle avec son propre accent, à sa façon.

“Mayna” est la première série à la télévision algérienne qui aborde la question du braconnage…Ce sujet n’a jamais été traité par le passé de cette manière

Au début, nous voulions faire une série dramatique basée sur une enquête scientifique et une enquête policière. Au cours de l’écriture, nous avons adapté l’histoire pour qu’elle soit plus légère, une comédie de 20 à 26 minutes, sans trop développer les intrigues. Nous avons tourné en 2020 et en 2021. Un tournage perturbé par la crise sanitaire de Covid-19. Nous avons poursuivi la production de la série malgré l’abandon par la chaîne de télévision qui devait la diffuser au début. Le producteur a pris des risques pour faire aboutir le projet.


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